Des oiseaux à sauver par milliers
Le changement d’apparence du complexe fédéral Place du Portage 3, à Gatineau, fera une différence de vie et de mort pour des milliers d’oiseaux.
Ce haut lieu de la fonction publique canadienne subit actuellement une cure de jeunesse qui s’étirera jusqu’en 2027. Ses grandes façades de béton et de bandeaux de fenêtres, typiques du modernisme du tournant des années 1970, disparaîtront au profit d’élégantes surfaces vitrées arborant un motif architectural en verre dépoli.
Ce motif composé de lignes verticales est inspiré des chutes de la Chaudière situées tout près des lieux, explique Mélanie Dupuis, architecte associée au cabinet montréalais Provencher Roy, qui pilote ce projet avec la firme Perkins & Will, établie à Ottawa.
Le résultat promet d’être plus esthétique, mais surtout moins dangereux pour les oiseaux sédentaires de la rivière des Outaouais et pour les espèces migratoires qui passent près du bâtiment. La menace de collision sera désormais claire devant eux.
« Un oiseau est incapable de percevoir un obstacle transparent devant lui. À ses yeux, il a le champ libre. Il va frapper les surfaces de verre réfléchissantes de plein fouet, ce qui est souvent fatal pour lui », indique Guillaume Martel, aussi architecte associé chez Provencher Roy. « Nous avons donc dû imaginer des stratagèmes pour avertir les oiseaux du danger. »
Les dangers sont en effet bien réels. Selon une estimation fédérale, jusqu’à 42 millions d’oiseaux périraient au Canada chaque année après une collision avec un édifice.
Bien souvent, ils meurent sur le coup ou subissent une blessure grave. Au mieux, ils tombent au sol, étourdis et vulnérables aux prédateurs.
Aux États-Unis, on estime que près de 1 milliard d’oiseaux subissent le même sort, surtout le long des routes migratoires, comme à Chicago ou à New York.
Selon l’organisme FLAP Canada, voué à la prévention de ces collisions, les populations d’oiseaux auraient diminué de 3 milliards en 50 ans en Amérique du Nord. Cette importante baisse laisserait planer une menace sur la biodiversité, la pollinisation des plantes et le contrôle des ravageurs.
Qu’est-il survenu pour que les immeubles deviennent de tels pièges pour la population ailée ? La principale cause serait un avancement technologique dans la fabrication du vitrage, répond dans un article du Guardian publié en décembre dernier l’architecte new-yorkaise Deborah Laurel, elle-même catastrophée après avoir appris qu’un de ses projets avait causé une hausse significative de mortalité d’oiseaux dans Staten Island.
Avant les années 1960, la majorité des grandes vitres utilisées pour les immeubles contenait des impuretés et des imperfections qui obstruaient la lumière.
Mais l’avènement de nouvelles méthodes de confection a permis de créer des vitres parfaitement lisses, claires et uniformes.
« Et surtout plus réfléchissantes », souligne Mme Laurel dans ce même article.
Ce nouveau type de vitrage a frappé l’imagination des architectes qui ont multiplié, dans la seconde moitié du XXe siècle, les grands bâtiments de verre et d’acier qui se reflètent les uns les autres dans les métropoles d’aujourd’hui, ajoute-t-elle.
Résultat : les oiseaux sont maintenant confondus par cette transparence impeccable des fenêtres, ou encore par le reflet du ciel, de la végétation qui entoure les immeubles, ou des points lumineux créés par l’éclairage extérieur ou intérieur.
Comment réduire cette menace pour les oiseaux sans réduire les qualités optiques du verre ?
Des fabricants ont répondu à cette question en proposant des traitements intégrés au verre, formant des motifs souvent très discrets à notre œil, mais facilement perceptibles pour les oiseaux.
Il existe même une norme canadienne, suggérée et non imposée : une trame de points espacés de 50 mm sur la totalité des surfaces vitrées situées jusqu’à une hauteur de 16 mètres qui permet une réduction efficace des collisions.
Pour la Place du Portage 3, les architectes ont mis en œuvre tout un bouquet de stratégies : les surfaces de verre réfléchissantes seront avant tout ornées de larges bandes translucides verticales pour atténuer les reflets de la rivière, des arbres et du ciel. « Elles ont été pensées pour ne pas altérer le confort visuel des utilisateurs de l’intérieur, mais elles seront visibles pour les oiseaux », ajoute Mélanie Dupuis.
Ce n’est pas tout. Un autre motif, celui-ci inspiré des aurores boréales, a été inséré dans la façade de la passerelle qui surplombe le boulevard Maisonneuve pour réduire l’éblouissement des automobilistes par les rayons du soleil. La nuit tombée, il sera illuminé par des couleurs douces qui n’auront pas d’effet sur la migration des oiseaux suivant les différentes périodes de l’année.
Enfin, l’éclairage intérieur général sera aussi éteint le plus tôt possible en soirée ; d’abord pour des raisons d’économie d’énergie, mais aussi pour ne pas attirer les oiseaux. « C’est un enjeu qui a été considéré avec sérieux », affirme Guillaume Martel.